Le Chevalier de Saint-George


Octobre 2017 / Vol. 12 • No 4

Bulletin des Bénévoles – Le « Mozart Noir » ou l’histoire d’un virtuose trop longtemps oublié le « Mozart Noir »

Mozart-noir

La vie de Joseph Boulogne de Saint- George, plus connu sous le nom de Chevalier de Saint George, est digne d’un roman.

 

Cet homme fut une gloire à son époque : à la fois chef d’orchestre, compositeur acclamé par le tout-Paris et violoniste hors pair. Précepteur de musique de Marie-Antoinette, il fut un homme de

Cour auprès des rois de France et d’Angleterre au XVIIIe siècle, et pour ne rien gâcher, on le disait aussi fort et beau.

 

Maître d’armes au fleuret, le Chevalier de Saint-George a créé et marqué ce sport jusqu’à nos jours. À ce titre, son professeur, Antoine La Boëssière, dira de lui que c’est « l’homme le plus prodigieux qu’on ait vu dans les armes ». Franc-maçon, il fit partie du mouvement des Lumières dans la France de l’Ancien Régime en ébullition. Colonel dans une Révolution française tourmentée, il eut sous ses ordres une Légion franche des Américains qui croisa le fer avec les Autrichiens.

Comment un homme aussi marquant a-t-il pu être supprimé de l’Histoire durant deux siècles?

De son vrai nom Joseph Boulogne, Chevalier de Saint-George est né esclave en Guadeloupe en 1745, mulâtre, ce qu’on appelle métis de nos jours. Fils d’un père blanc européen et d’une mère noire d’ascendance africaine, cet enfant de sang-mêlé connut un destin à la fois glorieux et tragique.

 

Il a été reconnu par son père, chose rare à l’époque. Il suivit ce dernier jusqu’à Paris, avec sa mère. Affranchi par ce voyage hors des îles à sucre, le jeune Saint-George reçut une éducation bourgeoise parisienne. Très vite ses talents innés pour le sport en firent un fleurettiste de renommée internationale. Il menait, en parallèle, une carrière artistique tout aussi brillante!

 

Le Chevalier de Saint-George, violoniste et compositeur, connut aussi un vif succès international. Le public appréciait particulièrement ses concertos et ses quatuors, empreints de légèreté et de romantisme. De toute l’Europe on venait voir ce « Nègre des Lumières » diriger son orchestre. Il se dit même que Mozart, jeune Autrichien alors à Paris en 1778, sans doute jaloux, aurait tout fait pour éviter d’aller voir ce virtuose en concert.

Et la question reste posée de l’influence des compositions de Saint-George sur l’oreille de Mozart.

 

Malheureusement, nous n’aurons sans doute jamais la réponse. Car à peine trois ans après sa mort, la tragédie frappe.

 

Une grande partie des compositions du Chevalier de Saint-George fut brûlée à la demande d’un général, un certain Bonaparte, pas encore empereur. Napoléon aurait souhaité effacer toute trace du talent de cet enfant noir affranchi, alors qu’il rétablissait l’esclavage.

 

Toutes ses oeuvres furent bien effacées du répertoire national. Il précipita alors cet homme exceptionnel dans un oubli qui durera deux siècles. Mulâtre, le Chevalier de Saint-George a dû affronter toute sa vie d’immenses préjugés raciaux. Il fut un homme exceptionnellement doué, mais sa couleur de peau lui aura été reprochée jusqu’après sa mort, malgré une « intégration » réussie, grâce à une excellente éducation dans la bourgeoisie parisienne.

 

Même fort de son immense succès et de l’appui de la reine Marie-Antoinette, Joseph Boulogne ne fut jamais directeur de l’Académie Royale de musique (l’Opéra de Paris). Quelques chanteuses et danseuses de l’Opéra avaient tout simplement refusé d’être soumises à ses ordres, en adressant un placet à la reine pour « représenter à Sa Majesté que leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettraient jamais d’être soumises aux ordres d’un mulâtre ».

 

Selon certains auteurs, ce préjugé de race pourrait aussi expliquer la mort tragique de son enfant, né hors mariage.

 

Le nourrisson aurait été laissé sans soin, car marqué d’un sceau d’une double infamie, bâtard et mulâtre.

 

Le Chevalier est mort en 1799, seul à Paris, sans descendance. Il avait 54 ans. Fort heureusement, depuis quelques années, la musique de Saint-George connaît une seconde vie.

 

Les partitions ayant survécu au feu recommencent à être jouées dans le monde entier.

Un mouvement international se dessine pour redonner au Chevalier une descendance musicale.

 

— Mounia Mamouni

Reconnaissances posthumes :

 

En 2000 : Expositions « Le Fleuret et l’Archet, le Chevalier de Saint-George créole dans le siècle des Lumières ». Archives Départementales de la Guadeloupe, Bisdary, Gourbeyre.

 

En 2001 : la rue Richepanse partagée entre le 1er et le 8e arrondissement de Paris a été débaptisée pour devenir la rue du Chevalier-de-Saint-George.

 

En 2004 : un spectacle écrit par Claude Ribbe et consacré à Saint-George est joué à Versailles devant 50 000 spectateurs.

 

En 2005 : Alain Guédé écrit un livret d’opéra sur la vie et l’oeuvre de Saint-George, intitulé « Le Nègre des Lumières ». L’opéra a été joué plusieurs fois et sur de nombreuses scènes de théâtre.

 

En 2006 : la Compagnie Prodanza a créé à La Havane un ballet, intitulé El Mozart Negro, sur des extraits de ses oeuvres .

 

En 2007 : Concert « Saint-George en concert » à l’Assemblée Nationale en commémoration de l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage.

À l’occasion de la Journée Nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, instituée par la loi Taubira (2001), le Collège Victor-Hugo de Saint-Yorre a donné un spectacle retraçant la vie et l’oeuvre du Chevalier de Saint- George.

 

En 2009 : Festival International Saint-Georges est créé à l’initiative du chef d’orchestre et pianiste Marlon Daniel et de Jean-Claude Halley, président de l’Association pour l’étude de la vie et de l’œuvre du Chevalier de Saint-George.

 

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