Entrevue avec James Ehnes


UN ENTRETIEN AVEC JAMES EHNES

par Marc Wieser – 29 septembre 2016

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Prochains concerts et récital avec l’OSM (13, 14 et 16 octobre) 

Marc Wieser — Retournons un peu en arrière. C’est avec l’OSM, à l’âge de 13 ans, que vous avez fait vos débuts professionnels avec orchestre, il y a maintenant 27 ans, après avoir remporté le Concours OSM 1988. Comment le jeune musicien de Brandon, au Manitoba, a-t-il vécu cette expérience?

James Ehnes C’était assez éprouvant, mais j’étais trop jeune pour me laisser paralyser par la peur, alors j’ai simplement savouré le moment. Comme mon père enseignait la trompette, la musique faisait partie de ma vie depuis l’enfance et j’étais déjà conscient du statut privilégié de l’OSM dans le monde des orchestres. Plusieurs mois auparavant, à l’occasion du concours, j’avais séjourné à Montréal et j’étais tombé sous son charme. Toute ma famille était présente lors du concert et j’en garde un magnifique souvenir. Il n’y a pas de doute que c’était un immense privilège !

 

MW Qu’avez-vous joué à ce concert?

JE J’ai joué Tzigane de Ravel. C’est pourquoi j’ai décidé d’interpréter de nouveau la pièce à mon récital pour l’OSM, dans deux semaines. Ce retour aux sources signifie beaucoup pour moi et la partition s’intègre parfaitement au programme. J’aime l’idée de revisiter une musique que j’ai jouée avec l’orchestre il y a tant d’années, alors que s’établissaient les bases d’une collaboration qui allait devenir si importante pour moi.

 

MW Vous êtes revenu à Montréal à de nombreuses reprises depuis. La ville n’est plus ce qu’elle était en 1988. Quand vous y êtes, vous arrive-t-il de ressentir l’émotion de cette première expérience?

JE Il se trouve des choses à Montréal qui me rappellent immanquablement ma jeunesse. Certaines images, certains sons — comme ceux que tous les Montréalais connaissent bien : les « dou-dou-douuuuu » du métro. Chaque fois que je les entends, j’ai l’impression d’avoir treize ans de nouveau. C’est ici que j’ai fait l’expérience d’un métro pour la première fois de ma vie, et j’en ai été vraiment épaté ! Montréal me rappelle une foule de souvenirs qui sont eux-mêmes liés à des jalons importants de ma vie, comme mon premier enregistrement orchestral – avec l’OSM et Charles Dutoit – une étape décisive dans mon parcours. Je pense aussi à des moments vécus dans ma vingtaine, comme lorsque j’ai emmené ma femme pour un premier week-end en amoureux. N’ayant jamais habité Montréal, je trouve fascinant qu’autant de mes souvenirs les plus marquants soient associés à la ville !

 

MW Par pure coïncidence, l’OSM présentera en octobre un concert pour célébrer le 50e anniversaire du métro. Au programme, on trouve une œuvre électroacoustique de Robert Normandeau dont l’un des motifs caractéristiques est justement le signal sonore du métro!

JE Incroyable !

 

MW Vous poursuivez actuellement une tournée pancanadienne (Ehnes@40) qui prendra fin en novembre, après 25 récitals présentés dans diverses communautés d’un bout à l’autre du pays. 

JE En fait, je pense que nous en sommes à 26 récitals. Dans certaines villes, j’ai voulu me produire aussi avec certains des orchestres qui me sont les plus chers. C’est pourquoi je suis ravi de pouvoir faire coïncider le récital avec ma saison à titre d’artiste en résidence de l’OSM.

 

MW J’aimerais vous entendre sur le degré d’intimité qu’offrent la formule du récital et les salles diverses où vous vous êtes produit. Votre façon de jouer, par exemple, est-elle différente à Montréal ou à Toronto de ce qu’elle est dans des communautés plus petites, comme Regina ou Iqaluit?

JE Je pense que chaque salle appelle un jeu légèrement différent. L’atmosphère varie selon les dimensions du lieu et la proximité des auditeurs. En récital, l’essentiel consiste à créer un lien continu entre le public et la musique, même dans une grande salle. Par chance, l’acoustique exceptionnelle de la Maison symphonique permet aux mélomanes de vivre une expérience très personnelle, malgré ses 2 000 sièges ! J’y donnerai bientôt mon premier récital complet et j’ai très hâte de faire des essais avec mon violon pour arriver idéalement à créer cette atmosphère intime.

 

MW Vous êtes originaire de Brandon, mais du point de vue des Montréalais, c’est comme si vous étiez un des leurs. Lorsque vous montez sur scène ici, avez-vous le sentiment de jouer pour des proches?

JE Oui, et je suis très heureux de vous l’entendre dire ! C’est toujours un bonheur de se produire à Montréal : j’éprouve beaucoup de gratitude à l’endroit des mélomanes qui m’ont si bien soutenu au fil des ans. Je ressens leur présence chaleureuse dès le moment où j’entre en scène, avant d’avoir joué une seule note. Je reconnais même certaines personnes qui reviennent d’une année à l’autre. Alors oui, bien sûr, je me sens très proche d’eux.

 

MW Qu’y a-t-il à votre agenda à partir de novembre?

JE Pour le moment, mon horaire est si chargé que j’ai décidé de prendre une semaine à la fois. Dès novembre, lorsque j’aurai terminé les récitals, je ferai quelques séjours en Europe pour jouer des concertos et effectuer une tournée avec mon quatuor à cordes, puis, au mois de décembre, en Chine pour jouer des concerts avec l’Orchestre symphonique de Birmingham. J’ai également très hâte de pouvoir créer, l’année prochaine, un tout nouveau concerto de Aaron Jay Kernis. En 2017, je ferai aussi une tournée dans l’est du Canada avec l’Orchestre du CNA, à l’occasion de son 150e anniversaire, et je serai à Ottawa le 1er juillet. À mon avis, il n’y aura pas de célébrations pareilles d’ici les 50 prochaines années !

MW Bref, vous ne chômerez pas!

JE : Non, en effet, ce sera très intense pour un moment. Par contre, à ce point de ma carrière, je peux m’offrir le luxe de choisir des engagements qui font écho à un réel désir chez moi. À chaque fois, c’est à un événement spécial pour la bonne raison que je l’ai voulu. J’ai de la chance de pouvoir ainsi mener ma vie artistique comme je l’entends, retrouver des lieux et des gens que j’aime pour offrir la musique que j’aime.

 

MW Parlons un peu de répertoire. Y a-t-il une œuvre à laquelle vous vous identifiez parfaitement, et qui n’a jamais cessé de vous attirer?

JE Vous savez, le programme de ce récital pour l’OSM est légèrement différent de ceux de la tournée. Nous avons voulu mettre l’accent sur des œuvres emblématiques pour le violon. Elles ont toutes une valeur particulière pour moi, mais elles représentent aussi tout ce qu’on devrait entendre si on doit assister à un seul récital de violon dans sa vie. C’est dans cet esprit que nous avons choisi la Sonate de Franck, la Sonate « Le Printemps » de Beethoven, Tzigane de Ravel, Praeludium et Allegro de Kreisler, toutes des œuvres magnifiques que j’ai grand plaisir à jouer. J’ai aussi très hâte de présenter l’œuvre de Bramwell Tovey, Stream of Limelight, qu’il a composée pour ma tournée. Bramwell est une personne très spéciale dans ma vie. Comme chef, au fil des années, il a rendu possibles plusieurs de mes plus grandes réalisations artistiques et comme je n’avais encore jamais eu la chance d’interpréter sa musique, j’étais très heureux qu’il écrive cette pièce. Stream of Limelight plaît beaucoup, les réactions sont formidables et Andy et moi adorons la jouer. Je crois qu’elle saura prendre sa place dans le répertoire et je suis très fier d’en être le premier « ambassadeur ».

 

MW Quel est votre rapport au Concerto de Dvořák et pourquoi avez-vous choisi de le jouer avec Juraj Valčuha et l’OSM?

JE Le choix s’est fait à la suite d’une discussion avec Marianne Perron (directrice de la programmation musicale à l’OSM). C’est un avantage d’entretenir un lien solide avec un orchestre et son administration : il devient alors possible d’avoir des échanges agréables qui mènent à des collaborations fructueuses. J’ai connu Marianne avant même qu’elle se joigne à l’OSM, à l’époque où elle était à Lyon ; nous sommes donc des amis depuis longtemps. Le Concerto de Dvořák est une de ses œuvres préférées, mais elle n’a jamais eu la chance de l’inscrire à un programme de l’orchestre. Je suis enchanté de pouvoir l’interpréter : je l’aime beaucoup et je l’ai enregistré et joué plusieurs fois. Comme c’est une pièce qui se fait relativement rare, il faut en quelque sorte créer des occasions pour la faire entendre. Juraj Valčuha est un musicien dont on m’a dit le plus grand bien. Puisqu’il est tchèque, on l’associe à la musique tchèque (à tort ou à raison) et le projet s’est concrétisé tout naturellement. La perspective de ce concert m’emballe vraiment, car je n’ai pas donné le concerto depuis plus de deux ans et il m’a beaucoup manqué. C’est lorsqu’on est animé du désir ardent de jouer une œuvre qu’on atteint l’état intérieur idéal pour en livrer une bonne interprétation. Voilà exactement où j’en suis.