Naples baroque


un nouvel opéra et l’apogée des castrats

« Mes yeux sont éblouis, mon âme ravie, il n’y a rien en Europe… qui puisse même de loin donner une idée de ce théâtre… » Stendhal 1817

On l’Ignore souvent mais Naples était au XVIIIe siècle la troisième ville d’Europe après Londres et Paris et la plus peuplée d’Italie; Naples était alors sous la gouverne d’un roi espagnol Charles III de Bourbon qui, influencé par son père le roi Philippe IV d’Espagne, inaugure une nouvelle ère pour l’art en général mais aussi pour l’art lyrique en particulier.

 

Charles III, bien que non féru de musique, ordonne la construction en 1837 d’un nouveau théâtre portant son nom, le San Carlo. Il en confie la tâche à l’architecte Medrano et exige un délai très court pour cette réalisation. Inauguré après sept mois, ce qui constitue un record, le théâtre devint le symbole de la puissance des Bourbon. Son architecture splendide, sa décoration intérieure, sa situation géographique sur les côtés du palais royal au coeur de la ville en font le modèle du théâtre italien.

Opéra de Naples

La sobriété de la façade néo-classique à colonnades (reconstruite après un incendie) n’annonce aucunement l’Intérieur éblouissant qui comprenait autrefois 3 000 places. Il est doté d’une fresque centrale (Apollon présentant à Minerve les plus grands poètes du monde) sans la présence du lustre habituel. Son plan en fer à cheval comprend 6 étages de galeries et de loges sans rideaux et ornées de lampes sur colonnes. Plus tard des miroirs seront ajoutés aux loges pour permettre aux aristocrates de se montrer le plus possible. Les loges étaient vendues et donc nominatives. Le rouge et l’or dominent la décoration.

 

La loge royale surmontée d’un baldaquin en forme de couronne est ornée des insignes royaux. Sa construction en plein centre des galeries occupe l’espace de 3 étages. Le parterre de 35 mètres accueillait les riches bourgeois et les fonctionnaires.

Ce théâtre restera pendant plus d’un siècle la plus grande salle au monde et est aussi un des plus anciens d’Europe, subsistant encore avec le Manoel de La Valette à Malte. Aujourd’hui la salle est réduite de moitié quant aux sièges et offre une saison d’art lyrique et une de ballet.

« Que vos femmes se taisent dans les assemblées » St- Paul aux Corinthiens

La pratique de la castration est connue depuis longtemps en Orient quand elle s’impose à Rome avec l’interdiction aux femmes de chanter dans les églises au XVIe siècle. Le Pape Clément VIII en 1562 l’interdit à la chapelle Sixtine. C’est donc à Rome que le castrat s’imposa d’abord pour les chapelles et plus tard pour l’opéra. Cette pratique se répandit rapidement partout en Italie, en Allemagne, mais en principe les castrats sont toujours italiens. Les voix d’anges, comme on les appelait, représentent alors le chanteur par excellence de la musique baroque et du bel canto.

 

L’écrivain Dominique Fernandez appelle Naples « castropolis ». On y comptait en effet 4 conservatoires où les jeunes castrés étaient pris en charge et suivaient une formation des plus complètes et rigoureuses. On y enseignait les exercices de respiration, les vocalises, la gestuelle mais aussi la littérature, les cultures classiques. Jusqu’à 4 000 jeunes hommes castrés par an y étudiaient.

Cependant la réussite était rare et on estime à 10% seulement ceux qui firent carrière de chanteur.

L’opération qui consistait à retirer les testicules des enfants de 7 à 12 ans avait comme résultat de stopper le développement de la testostérone et permettait ainsi de conserver la voix non-muée tout en développant une cage thoracique très puissante à l’âge adulte. Les castrés provenaient souvent de familles pauvres contre rétribution mais attiraient aussi des jeunes fortunés rêvant de gloire.

 

Car les castrats obtenaient un succès considérable et voyageaient dans toute l’Europe. Certains protégés par des mécènes travaillaient uniquement pour eux.

 

Leur ambiguïté sexuelle homme/femme/ enfant séduisait les foules mais aussi les femmes dont ils alimentaient les phantasmes. Ils justifiaient alors leur absence d’organes par des accidents divers : morsures de cygne ou autre animal, chute de cheval (Farinelli). Toutefois, ils pouvaient obtenir des érections. Cependant, ils devinrent la risée des gens entre autres à cause de la difformité de leur corps : très grands aux membres longs, sans pomme d’Adam et souvent obèses, ils perdirent peu à peu de leur prestige vers la fin du XVIIIe siècle.

Pourtant de grands compositeurs écrivirent pour leur voix dont Haendel mais les Anglais n’étaient pas amateurs de ces voix supra aiguës qui pouvaient couvrir trois octaves.

 

C’est un autre pape qui à la fin du XVIIIe interdit la pratique de la castration. La gloire des castrats et leur adulation ne durèrent donc que deux siècles.

Aujourd’hui les chanteurs à la voix très haute appelés contre-ténors (dont notre très célèbre Daniel Taylor) ont développé une « voix de tête » contrairement aux castrats qui chantaient grâce à la puissance de leur développement thoracique.

 

— Christiane Gosselin